QUAND LE VICE PREND SON TEMPS, LE JUGE SORT LE CHRONO


Par deux arrêts récents rendus à un jour d’intervalle, la Cour de cassation verrouille définitivement le régime temporel de l’action en garantie des vices cachés : le délai de deux ans est un délai de prescription, et l’action doit être introduite dans le délai butoir de vingt ans.

Nature juridique du délai biennal de l’action en garantie des vices cachés : de forclusion à prescription. Rappel de l’évolution jurisprudentielle

Alors que le législateur avait expressément souligné à l’alinéa 2 de l’article 1648 du C. civ. le caractère forclusif du délai d’action en garantie des vices ou défauts de conformité apparents dans le cadre de la vente d’immeuble à construire, il n’avait en revanche pas qualifié explicitement celui que le premier alinéa de ce texte accorde à l’acheteur pour intenter l’action en garantie des vices cachés contre le vendeur sur le fondement de l’article 1641 du C. civ.

La jurisprudence a ainsi oscillé : la 1re chambre civile de la Cour de cassation ainsi que la chambre commerciale qualifiaient le délai biennal de délai de prescription tandis que la 3e chambre civile le qualifiait de délai de forclusion.

Un arrêt de la chambre mixte du 21 juillet 2023 (n° 21-15.809, au Bulletin) est venu mettre un terme à cette période d’insécurité juridique en le qualifiant de délai de prescription, donc susceptible de suspension (art. 2239 du C. civ.) - contrairement au délai de forclusion, notamment en cas de mesure d’instruction in futurum.

La 3e chambre civile, dans son arrêt du 20 mars 2025 (n°23-19.610, inédit), applique la solution à l’occasion d’un litige classique entre vendeurs et acquéreurs d’un appartement, affecté par des infiltrations.

Elle précise que le délai a été suspendu entre l’ordonnance désignant l’expert (21 décembre 2018) et le dépôt du rapport d’expertise (1er juin 2021), pour recommencer à courir pour au moins six mois à compter de cette dernière date. L’action introduite le 4 novembre 2021 était donc recevable, malgré une apparente expiration du délai, si l’on retenait comme point de départ le dépôt du rapport d’expertise amiable (avril 2018).

Application immédiate du revirement : pas de « droit acquis à une jurisprudence figée »

La 3e chambre civile rejette en outre toute protection du justiciable fondée sur une prétendue « sécurité juridique » contre une jurisprudence nouvelle : le revirement opéré par la chambre mixte n’est pas rétroactif mais s’applique aux litiges en cours, dès lors que l’accès au juge n’est pas compromis.

Un délai butoir de vingt ans à ne pas oublier

La chambre commerciale, dans son arrêt du 19 mars 2025 (n°22-24.761, au Bulletin) énonce clairement, à propos d’une vente commerciale d’éoliennes entachées de vices potentiels, que ce délai de deux ans s’inscrit dans un délai butoir de vingt ans à compter du jour de la vente (art. 2232 du C. civ.).

L’action introduite dans ce cadre (contrat de vente en 2013, vice découvert en octobre 2018, action en février 2020) était donc recevable.

Consolidation de la requalification du délai de l’article 1648 du C. civ. en un délai de prescription

Ces deux arrêts, en parfaite cohérence, consacrent ainsi l’application complète du régime général de la prescription (articles 2219 et s. du C. civ.) à l’action en garantie des vices cachés : interruption, suspension, délai butoir.

Importance de la date de connaissance du vice

Le point de départ du délai de prescription biennale reste en principe celui de la date de la découverte du vice dans toute son ampleur. À ce titre, un rapport d’expertise amiable incomplet ou hypothétique peut ne pas suffire tandis que la reconnaissance par le vendeur de l’existence d’un vice seulement susceptible d’affecter l’objet vendu peut être retenue comme point de départ du délai.

Il conviendra donc de rester attentif aux conditions de déclenchement effectif du délai.


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